Médecine d'urgence 2001, p. 39-48.
© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS, et Sfar. Tous droits
réservés.
C. Télion, P. Carli
Département d'anesthésie-réanimation, Samu de Paris, hôpital
Necker-Enfants-Malades,
149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France
POINTS ESSENTIELS |
· L'état de choc est une urgence
thérapeutique et étiologique.
· Les états de choc nécessitant un remplissage sont les états de choc hypovolémiques ou distributifs. · Cristalloïdes ou colloïdes, l'important est de respecter les propriétés pharmacologiques et pharmacodynamiques de chacun des produits. · Le remplissage vasculaire du choc hémorragique a pour objectif le maintien d'une pression de perfusion et un apport d'oxygène suffisant. · Dans le choc hémorragique, la non réponse hémodynamique au remplissage rapide après une perfusion d'environ 2 000 mL de colloïdes souligne l'urgence de l'hémostase chirurgicale et impose la perfusion de catécholamines. · Chez le brûlé, à la phase initiale, le remplissage précoce et massif doit être réalisé avec des cristalloïdes isotoniques, voire hypertoniques. · À la phase initiale du choc septique, l'hypovolémie est constante. Face au risque de défaillance myocardique, l'optimisation du remplissage impose un monitorage précis (PAI, PAPO, ETO). |
L'état de choc se caractérise, quelle que soit son étiologie, par une insuffisance circulatoire généralisée diminuant la délivrance en oxygène au niveau cellulaire. Cette hypoxie cellulaire se traduit par le développement du métabolisme anaérobie avec production et libération d'acide lactique. Cliniquement, l'état de choc se révèle le plus souvent par l'association d'une hypotension artérielle (PAS < 90 mmHg ou PAM < 70 mmHg) à des signes d'hypoperfusion tissulaire : oligurie, altération de l'état de conscience, vasoconstriction cutanée. L'état de choc est une urgence, qui impose deux démarches simultanées : une démarche thérapeutique, initialement symptomatique pour assurer la survie immédiate, et une démarche étiologique pour adapter le traitement à la cause, et définir un pronostic.
PRINCIPALES CAUSES ET ORIENTATION DIAGNOSTIQUE
Contemporaine des premières mesures thérapeutiques, la démarche
diagnostique initiale repose sur l'interrogatoire du patient et de son
entourage, le contexte et l'examen clinique. Ils permettent d'orienter vers le
mécanisme du choc, et le plus souvent d'obtenir le diagnostic étiologique.
Parfois, l'étiologie est évidente (déshydratation, hémorragie, réaction anaphylactique...) ; ailleurs, elle n'est pas manifeste ou fait intervenir plusieurs mécanismes. Il faut alors rechercher des signes de pertes sanguines ou liquidiennes patentes ou occultes mais aussi des signes de surcharge du secteur veineux (hépatomégalie, turgescence veineuse, PVC > 8 cmH2O). Cet examen initial permet d'évoquer un des trois mécanismes physiopathologiques du choc.
Le choc hypovolémique, forme la plus fréquente, a pour principale étiologie l'hémorragie secondaire à n'importe quelle cause chirurgicale ou médicale, notamment un traumatisme, à une rupture d'anévrysme, à une hémorragie digestive... Il peut s'agir aussi d'une cause non hémorragique en cas de déshydratation sévère. Il est caractérisé par une diminution du débit cardiaque, des pressions de remplissage basses et des résistances vasculaires systémiques élevées.
Le choc cardiogénique, secondaire à une atteinte de la pompe cardiaque, est notamment lié à un infarctus du myocarde soit à une cardiomyopathie, soit à un trouble du rythme paroxystique. Il est caractérisé par une diminution du débit cardiaque, des pressions de remplissage élevées et des résistances vasculaires systémiques élevées. Le remplissage n'est pas le principal traitement de cet état de choc.
Le choc distributif est lié à la libération de médiateurs de l'inflammation. L'exemple le plus caractéristique en est le choc septique après la phase de remplissage. Il est caractérisé par un débit cardiaque normal ou élevé, des pressions de remplissage abaissées et des résistances vasculaires systémiques abaissées.
Les états de choc observés en clinique associent souvent différents mécanismes physiopathologiques dont l'importance relative peut évoluer. Ainsi le choc septique associe le plus souvent les trois formes de choc, nous en verrons d'autres exemples plus loin.
Seule l'existence de pressions de remplissage abaissées impose un remplissage vasculaire. L'objectif du remplissage vasculaire est de compenser l'hypovolémie afin d'optimiser la fonction myocardique. Si les situations caricaturales d'emblée de choc cardiogénique ou de choc hypovolémique sont de diagnostic simple, certaines peuvent se révéler douteuses. Ainsi, en l'absence de monitorage invasif, comme c'est souvent le cas en médecine préhospitalière lorsque la certitude de pressions de remplissage basses ne peut être affirmée, l'administration de solutés de remplissage peut constituer un test de diagnostic. Ce test est beaucoup plus sensible en milieu hospitalier chez un patient monitoré. Ainsi, une augmentation faible de la pression veineuse centrale (PVC) ou de la pression artérielle pulmonaire d'occlusion (PAPO) après un remplissage de 200 mL de colloïdes confirme l'hypovolémie. À l'inverse, leur augmentation rapide sans correction des signes de choc révèle une insuffisance myocardique.
SOLUTÉS DE REMPLISSAGE DISPONIBLES
Le remplissage vasculaire peut être réalisé par deux types de solutés :
les cristalloïdes (isotoniques ou hypertoniques) et les colloïdes (naturels ou
de synthèse).
Les cristalloïdes
Les cristalloïdes isotoniques
Les cristalloïdes sont les plus anciens utilisés pour traiter une
hypovolémie mais seuls les solutés sodés équilibrés ont été retenus. En
effet, pour assurer un remplissage, les solutions glucosées sont exclues car
elles agissent comme de l'eau libre et induisent un risque d'intoxication à
l'eau. Les solutés salés isotoniques (SSI) (tableau I) compensent rapidement
l'hypovolémie mais diffusent rapidement du secteur intravasculaire vers le
secteur interstitiel. L'expansion volémique initiale par les cristalloïdes
nécessite la perfusion d'un volume 5 fois supérieur au volume de sang perdu.
En cas d'hémorragie persistante, la quantité nécessaire au maintien de la
volémie augmente de façon exponentielle avec le temps [1]. La pression
oncotique plasmatique diminuant parallèlement à l'hémorragie et la perfusion
de cristalloïdes induisant une dilution, la normovolémie ne peut être
maintenue que par l'augmentation de la pression hydrostatique interstitielle
grâce à l'accumulation interstitielle des cristalloïdes (œdèmes).
L'augmentation de la pression hydrostatique induite génère une augmentation du
flux lymphatique déjà augmenté par la diminution de la pression oncotique
plasmatique et crée ainsi une mobilisation de l'albumine interstitielle vers le
secteur plasmatique.
Les cristalloïdes hypertoniques
Les complications liées à l'importance des volumes perfusés de SSI et
l'efficacité expérimentale et clinique des sérums salés hypertoniques (SSH)
[2] [3] sur la survie a conduit le développement du concept de « small volume
resuscitation ». Ainsi, la perfusion intraveineuse de faible volume de SSH
permet une augmentation rapide de la concentration plasmatique en sodium créant
un gradient osmotique transmembranaire et donc un transfert d'eau du secteur
intracellulaire ou interstitiel vers le secteur intravasculaire. D'autres
mécanismes interviennent dans l'efficacité du SSH. En effet, il existe un
effet inotrope positif, une activation sympathique, une activation de la
vasomotricité artériolaire et une vasodilatation précapillaire. En cas d'hypovolémie
grave, l'injection de 4 mL·kg-1 de SSH à 7,5 % permet une augmentation du
volume plasmatique de 12 mL·kg-1 [4].
Tableau I. Composition du plasma comparé aux principaux cristalloïdes utilisés. Ions (mmol.L-1)
Les colloïdes
L'albumine
L'albumine, colloïde naturel, a une synthèse exclusivement hépatique. De
poids moléculaire élevé, sa très forte concentration dans le plasma lui
confère un rôle prépondérant dans l'établissement de la pression oncotique
plasmatique. Deux solutions d'albumine sont disponibles en France, l'une à 20 %
(hyperoncotique) et l'une à 4 % (légèrement hypooncotique) mais elles sont
toutes les deux isoosmolaires par rapport au plasma. L'albumine est d'origine
humaine, même si le risque de contamination par des agents transmissibles non
conventionnels reste plus théorique que réel, il ne peut être considéré
comme nul. Le coût élevé de sa production (22 F le gramme) reste son
inconvénient majeur. De plus, aucun effet bénéfique de la perfusion
d'albumine chez le patient hypovolémique n'a été mis en évidence [5]. La
dernière conférence de consensus [6] sur son utilisation en pratique clinique
limite ses indications à l'expansion volémique chez la femme enceinte ou en
cas d'allergie aux autres solutés de remplissage ou à la perte protidique
massive et prolongée ou à l'insuffisance de synthèse.
Les dextrans
Les dextrans sont des polymères obtenus à partir du glucose. Ils
possèdent un pouvoir oncotique et un pouvoir d'expansion volémique élevé.
Leur élimination est dépendante de leur poids moléculaire, ainsi la demi-vie
des dextrans 60 ou 70 est de 6 à 8 heures et celle des dextrans 40 est de 3 à
4 heures. Leurs effets indésirables majeurs sont très rares mais limitent leur
utilisation. En effet, ils induisent une diminution de l'agrégabilité
plaquettaire, des altérations tubulaires rénales et des réactions
anaphylactiques sévères par formation d'anticorps de type IgG. La survenue des
réactions anaphylactiques peut être en partie prévenue par l'administration
d'un haptène de PM 1.
Les gélatines fluides modifiées
Elles sont obtenues à partir du collagène végétal ou animal. Solutions
hypooncotiques au plasma, elles ont un pouvoir expandeur plus faible que celui
des dextrans et une durée d'action de 3 à 4 heures. Leurs effets indésirables
sont faibles mais elles peuvent être aussi responsables de chocs
anaphylactiques.
Les hydroxyéthylamidons
Les hydroxyéthylamidons (HEA) sont des solutions de polysaccharides
naturels modifiés et dérivés de l'amylopectine. Leurs propriétés
physicochimiques et pharmacodynamiques sont dépendantes de leur degré d'hydroxyéthylation.
Leur emploi est de plus en plus limité par leurs effets indésirables. En
effet, selon leur degré d'hydroxyethylation, ils peuvent être responsables de
troubles de l'hémostase primaire (syndrome de Willebrand de type I) plus ou
moins sévères, limitant le volume d'injection à 33 mL·kg-1·j-1 pour les
produits à demi-vie courte (Hestéril®) et 33 mL·kg-1·j-1 le premier jour
suivi de 20 mL·kg-1·j-1 pour les produits à demi-vie longue (Elohès®).
Certains troubles de l'hémostase peuvent être secondaires à une réaction
d'idiosyncrasie indépendante de la quantité d'HEA administrée. De plus,
récemment, chez les patients traités par des HEA, des lésions tubulaires
rénales ont été mis en évidence par augmentation de l'excrétion de l'1
microglobuline et de la protéine de Tamm Horsfall [7]. Ainsi, Cittanova et al.
observent un taux plus élevé d'insuffisance rénale chez les transplantés
rénaux quand le donneur a reçu un HEA [8].
Tableau II. Expansion volémique et demi-vie des principaux solutés de remplissage.
Cristalloïdes ou colloïdes
À condition d'être administré à des doses correspondant à leur espace
de diffusion, ces deux types de solutés sont d'efficacité équivalente
(tableau II). La controverse qui a entouré leur utilisation dans l'hypovolémie
aiguë n'a donc pas lieu d'être. Classiquement, les cristalloïdes sont plus
utilisés dans les pays anglo-saxons ou lorsque la perte sanguine est modérée.
En France, les colloïdes sont très utilisés dans la réanimation
préhospitalière du fait de leur bon rapport poids-efficacité.
Association cristalloïde hypertonique et dextran
L'association de SSH et d'une solution macromoléculaire (dextran) (Rescuflow®)
constitue une nouvelle thérapeutique pour le traitement de l'hypovolémie. En
effet, l'efficacité du SSH est de courte durée, son association à une
solution colloïdale permet la prolongation de son activité. Ainsi, l'injection
de 250 mL de cette association permet une augmentation de la pression
artérielle [9]. La méta-analyse des travaux publiés montre une amélioration
du taux de survie des patients [10]. Cette association permet à la fois un
effet de remplissage vasculaire, des actions sur la vasomotricité avec une
amélioration de la microcirculation et une augmentation de la fonction
myocardique. Une hypernatrémie et une hyperosmolarité transitoires ont été
relevées chez les patients.
Le sang et les transporteurs d'oxygène
Dans les spoliations sanguines importantes, l'apport d'érythrocytes est
nécessaire pour assurer un transport d'oxygène suffisant au tissus. Ainsi les
recommandations de la conférence de consensus [11] sont toujours d'actualité.
Elles précisent que l'apport d'érythrocytes est nécessaire : chez le sujet
sain lorsque le taux d'hémoglobine est < 7 g/100 mL ou < 10 g/100 mL chez
le sujet dont les capacités d'adaptation sont limitées.
Les contraintes actuelles de la sécurité transfusionnelle limitent considérablement la transfusion préhospitalière, qui a des indications limitées aux transports prolongés lorsqu'une hémostase chirurgicale n'est pas réalisable.
La place des transporteurs d'oxygène, tels que les fluorocarbones ou les solutions d'hémoglobine, est encore discutée en urgence. Ces composés font l'objet d'un autre chapitre dans ce recueil.
LES CHOCS HYPOVOLÉMIQUES
Le choc hémorragique
Il survient après une perte sanguine d'environ 30 %. La première cause de
choc hémorragique est le traumatisme. La prise en charge de ce choc doit
débuter dès la phase préhospitalière. Elle répond à un objectif
thérapeutique précis et nécessite une technique adaptée. Elle impose le
maintien d'une pression de perfusion et un apport d'oxygène suffisant, mais il
ne doit pas retarder le transport vers l'hôpital et l'hémostase en milieu
chirurgical de la lésion qui saigne.
Plusieurs particularités sémiologiques ne doivent pas être oubliées. Chez les sujets sains, en l'absence de sédation, la pression artérielle reste normale jusqu'à 30 % d'hypovolémie. Cette hypovolémie peut se démasquer et se traduire par une hypotension artérielle brutale lors de l'induction d'une anesthésie générale ou de l'instauration d'une ventilation mécanique. En préhospitalier, l'existence d'une hypotension artérielle initiale est donc un signe de gravité de l'hémorragie. À l'inverse, chez le sujet inconscient ou anesthésié, la PAS est un reflet correct de la volémie.
Par ailleurs, la fréquence cardiaque est d'interprétation très difficile surtout en traumatologie car la tachycardie peut notamment être due au défaut d'analgésie. Il faut se méfier d'une bradycardie paradoxale, faussement rassurante, qui est un signe de gravité.
C'est en fait à l'hôpital que le monitorage de la PVC ou de la PAPO confirme l'hypovolémie et guide le remplissage. Le diagnostic d'hypovolémie peut aussi être obtenu par l'échographie (au mieux transœsophagienne). Le monitorage de la pression artérielle sanglante a des indications très larges pour la prise en charge des blessés graves à hôpital. Il faut noter que des variations de la courbe de PAS au cours du cycle ventilatoire en ventilation mécanique peuvent suggérer le diagnostic d'hypovolémie [12].
Le remplissage vasculaire reste la base de la réanimation des hémorragies aiguës, mais son usage est limité par l'hémodilution et l'apport liquidien qu'il induit. La perfusion d'emblée de colloïdes est recommandée lorsqu'une hypotension est constatée initialement. Une non-réponse hémodynamique au remplissage rapide après une perfusion d'environ 2 000 mL de colloïdes témoigne d'une hémorragie particulièrement active, souligne l'urgence de l'hémostase chirurgicale et impose la perfusion de catécholamines. L'objectif du remplissage vasculaire en termes de pression artérielle dépend du type de traumatisme pris en charge. En effet, en cas de lésion unique, une hypotension artérielle modérée est d'autant plus facilement supportée qu'il s'agit d'un sujet jeune sans tare préexistante, on ne recherchera donc pas à normaliser la pression artérielle. À l'inverse, chez un traumatisé crânien atteint de lésions multiples et/ou d'un sujet aux réserves cardiorespiratoires limitées, toute hypotension peut considérablement aggraver l'atteinte cérébrale. Dans ce cas, la pression artérielle doit être maintenue pour assurer une pression de perfusion cérébrale suffisante. Classiquement, cet objectif est atteint pour une pression artérielle systolique de 110-120 mmHg. Ces mesures ne doivent pas faire oublier les gestes simples et classiques qui permettent de diminuer le saignement : réalignement des membres fracturés, hémostase provisoire par compression d'une plaie artérielle, point de rapprochement sur les berges d'une plaie importante du cuir chevelu.
La réanimation du choc hypovolémique du traumatisé est le centre d'un débat récurrent entre les réanimateurs européens [13] et les tenants du « scoop and run » nord-américains. Ces derniers considèrent que le remplissage vasculaire est inutile et dangereux avant que la cause de l'hémorragie ne soit contrôlée chirurgicalement [14]. Cette argumentation repose avant tout sur des études expérimentales réalisant un modèle d'hémorragie non contrôlée [15]. L'argument clé des opposants au remplissage vasculaire au cours des hémorragies est le risque de majoration du saignement par l'augmentation de la pression artérielle. De même, l'hémodilution, qui résulte du remplissage par des colloïdes ou des cristalloïdes, provoque des troubles de la coagulation et donc empêche l'arrêt du saignement. Aussi simples que paraissent ces explications, elles ne sont que fragmentaires et ne peuvent pas être admises aussi catégoriquement. La transposition en clinique des résultats expérimentaux se révèle difficile. Plusieurs études cliniques non contrôlées et rétrospectives ont cherché à établir ces résultats, mais leur méthodologie est particulièrement faible. En considérant uniquement les traumatismes pénétrants du thorax, a priori les plus proches des conditions expérimentales de l'hémorragie non contrôlée, une seule étude randomisée a prétendu avoir démontré que le remplissage vasculaire avait un effet négatif sur le pronostic et les complications postopératoires [16]. Ainsi, les patients qui ne recevaient aucun remplissage à la phase préhospitalière et à l'hôpital en phase pré-opératoire avaient un meilleur pronostic que ceux qui étaient réanimés plus classiquement (70 % de survie contre 62 %). Cependant, cette étude souffre de nombreux biais qui enlèvent beaucoup d'intérêt à sa conclusion : en particulier, les traitements complémentaires, les lésions associées et les causes de mortalité des patients ne sont pas précisées ; de plus, il existe de nombreuses violations du protocole et, enfin, l'analyse statistique est discutable [17].
En Europe, les traumatismes pénétrants sont assez rares, mais l'association au cours d'un traumatisme fermé de lésions crânio-cérébrales à un polytraumatisme est très fréquente. L'existence d'un traumatisme crânien sévère perturbe considérablement l'autorégulation cérébrale et, en conséquence, le cerveau contus devient très sensible à l'hypotension qui induit une ischémie. Ce mécanisme ainsi que l'hypoxie sont à l'origine de l'aggravation secondaire des lésions encéphaliques. Une hypotension ou une hypoxie initiale sont donc des facteurs qui assombrissent de manière significative le pronostic des patients. Plusieurs études rapportent une diminution de la morbidité et de la mortalité lorsque, dès la phase préhospitalière, l'hypoxie et l'hypotension sont rapidement corrigées [18]. Dans cet objectif, le remplissage vasculaire et l'utilisation de médicaments vaso-actifs se révèlent indispensables. Cependant, le choix du médicament, sa posologie et son indication relative par rapport au remplissage sont toujours l'objet de discussion.
Les solutés de remplissage sont en première intention des colloïdes en solution polyionique, qu'ils s'agissent de gélatines ou d'amidons. Dans le contexte du choc hémorragique, la place des solutions associant sérum salé hypertonique et dextran est elle aussi discutée. En effet, ces solutions limitent les volumes perfusés et semblent améliorer la survie des polytraumatisés, ce qui n'a jamais été démontré avec les colloïdes. Elles présentent en revanche un avantage plus net en cas de traumatisme crânien ou de traumatisme pénétrant [10].
Le brûlé
La brûlure se définit comme une destruction aiguë du revêtement cutané
et parfois des tissus sous-jacents induisant à la phase initiale un choc
hypovolémique. La réaction inflammatoire induit une hyperperméabilité
capillaire provoquant une réaction œdémateuse. Dès la prise en charge, outre
la réalisation de pansements stériles et l'analgésie du patient, un
remplissage précoce et massif avec des cristalloïdes est indispensable. La
formule simple de Parkland (4 mL·kg-1·% de surface brûlée dont la moitié
est perfusée dans les huit premières heures) permet d'estimer les besoins
initiaux qui seront ensuite guidés à la fois par l'hémodynamique et par la
diurèse du patient (1 mL·kg-1·h-1 au minimum). Compte tenu des troubles
majeurs de la perméabilité, les colloïdes de synthèse ne sont pas indiqués
dans les huit premières heures sauf en cas de collapsus cardio-vasculaire ne
répondant pas à la perfusion de cristalloïdes initiale. À cette phase,
l'utilisation de SSH ou de SSH/dextran semble intéressante car permet un
équilibre hémodynamique correct avec des volumes faibles limitant le risque d'œdème.
Passées les six à huit premières heures, le maintien de la volémie est
réalisé pour moitié avec du SSI et de sérum glucosé à 5 % et pour moitié
avec de l'albumine à 4 %. Certains auteurs, à l'instar des protocoles
américains [19], ne préconisent l'albumine qu'après la 24e heure. Mais
l'administration précoce d'albumine permet la limitation du phénomène œdémateux
en zone non brûlée [20]. Ainsi la perfusion d'albumine est préconisée chez
les patients présentant une surface brûlée supérieure à 30 % de la surface
corporelle et/ou une albuminémie < 20 g.L-1 ou une protidémie < 35
g.L-1.
Le choc septique
Le choc septique réalise une insuffisance circulatoire associée à une
défaillance multiviscérale plus ou moins sévère. Les mécanismes
physiopathologiques sont complexes et intriqués. La présence de
microorganismes ou de leurs endotoxines dans la circulation engendre une cascade
de phénomènes inflammatoires. Les médiateurs libérés induisent de nombreux
désordres dont des troubles de la perméabilité capillaire et une
vasodilatation se traduisant par une hypotension artérielle, voire un choc
hypovolémique. Ainsi tout patient septique présentant une pression artérielle
basse doit bénéficier d'un remplissage systématique et précoce. Mais ce
remplissage est parfois délicat, en cas d'atteinte myocardique associée (choc
cardiogénique) et il nécessite la mise en place d'un monitorage adapté afin
d'être optimisé. Une association de colloïdes de synthèse est préconisée.
L'albumine comme le plasma frais congelé n'ont pas d'indication comme solutés
de remplissage [11]. Afin d'optimiser l'oxygénation cellulaire, l'hématocrite
doit être maintenu aux alentours de 30 %. Cependant, le remplissage n'est qu'un
des volets du traitement du choc septique qui comprend l'antibiothérapie et
l'éradication du foyer infectieux.
Les états de déshydratation
Quelle que soit sa cause, la déshydratation aiguë dans sa forme sévère
induit un choc hypovolémique avec pertes exclusivement d'eau et
d'électrolytes. La prise en charge initiale qui repose sur le remplissage
associant cristalloïdes et colloïdes est indispensable. L'objectif initial en
terme de pression artérielle dépend principalement de l'état antérieur du
patient. Les états de déshydratation sont classés en fonction de la natrémie
:
- Na+ < 130 mmol.L-1 : déshydratation hypotonique ;
- Na+ > 150 mmol.L-1 : déshydratation hypertonique ;
- 130 < Na+ < 150 mmol.L-1 : déshydratation isotonique.
La distinction entre une insuffisance rénale prérénale et une insuffisance rénale par lésion tubulaire ischémique est indispensable et repose sur la détermination de la fraction d'excrétion sodée (Na urinaire/Na plasmatique x créatinine plasmatique/créatinine urinaire p < 1 %) et sur l'index d'insuffisance rénale (Na urinaire x créatinine plasmatique/créatinine urinaire < 1).
Si les protocoles de réhydratation sont nombreux et variés, la vitesse et la qualité de la perfusion dépendent de l'état rénal, de l'état cardiaque du patient, de l'étiologie de la déshydratation et des constantes biologiques.
Le choc anaphylactique
Le choc anaphylactique est la manifestation la plus grave de
l'hypersensibilité immédiate. Le choc évolue en trois phases souvent
intriquées. La première phase hyperkinétique est secondaire à la libération
de l'histamine et se traduit par un effondrement des résistances qui provoque
une sécrétion réflexe de catécholamines. À la deuxième phase, la
vasodilatation persiste et une fuite plasmatique transcapillaire apparaît
créant une hypovolémie. En l'absence de traitement, l'évolution se fait vers
le choc hypovolémique pur avec des pressions de remplissage et un débit
cardiaque effondrés. Le traitement repose sur la suppression de l'allergène,
l'oxygène et l'administration d'adrénaline (0,2 à 0,5 mg) jusqu'à obtention
d'une hémodynamique satisfaisante. Mais si l'administration d'adrénaline n'a
pu être précoce, la compensation de la fuite plasmatique devient indispensable
et fait appel à l'administration de cristalloïdes en première intention. Les
volumes perfusés sont parfois importants et il peut s'avérer nécessaire
d'utiliser des colloïdes.
CONCLUSION
Le remplissage vasculaire est un des traitements de première intention des
états de choc. Cependant, les modalités sont très dépendantes de la nature
du choc et de sa cause. Le remplissage vasculaire est souvent débuté en
préhospitalier sans monitorage invasif. Pour les polytraumatisés, il répond
à une stratégie précise dont les objectifs dépendent des mécanismes du
traumatisme, des lésions associées et de l'hémostase chirurgicale. À
l'hôpital, le monitorage invasif permet un diagnostic précis du mécanisme du
choc et guide le remplissage. Cependant, le remplissage n'est qu'un des volets
du traitement des états de choc.
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