D'après "Réactions allergiques au cours de l'anesthésie". MC Laxenaire, DA Moneret-Vautrin, JL Guéant. .SFAR 1996.
Le bilan est fondamental pour la sécurité ultérieure du patient et pour la protection médicolégale de l'anesthésiste en cas de plainte. Il faut en effet prouver que la réaction est bien liée à une dégranulation des basophiles et mastocytes, et non à une erreur de technique anesthésique ; parallèlement il faut mettre en évidence le mécanisme de cette dégranulation et le produit responsable, afin de l'éliminer définitivement des protocoles anesthésiques ultérieurs.
Le bilan se réalise en deux temps : dans les suites immédiates de l'accident et 6 à 8 semaines plus tard .
Il est à pratiquer le plus tôt possible après l'accident, dès que le traitement a été institué, puis à reproduire 1 à 2 h plus tard. Il consiste à prélever, à deux reprises, 3 tubes de sang pour le dosage des médiateurs libérés par la dégranulation cellulaire et le dosage des anticorps spécifiques des produits suspectés. Un prélèvement d'urines, obtenu sur la première miction après l'accident, sera également utile pour le dosage du métabolite principal de l'histamine.
On dose actuellement en routine, par technique radio-immunologique, l'histamine plasmatique et la tryptase sérique, médiateurs préformés stockés dans les basophiles et mastocytes. Les autres médiateurs néoformés et la sérotonine ne sont pas des dosages de routine.
La demi-vie de l'histamine étant brève in vivo (15 min), cela justifie de faire un prélèvement très précoce, encore que dans les cas d'hypotension sévère son mécanisme soit ralenti et que des concentrations élevées puissent être encore détectées 1 à 2 h plus tard . Il faut cependant savoir interpréter les valeurs mesurées d'histamine en fonction des circonstances cliniques et des techniques de prélèvement, car il existe des faux négatifs (fin de grossesse, traitement héparinique lors de CEC) et des faux positifs (hémolyse, erreurs de manipulation de l'échantillon au laboratoire). C'est cependant un marqueur très stable in vitro qui ne se dégrade pas lorsque l'échantillon plasmatique est maintenu plusieurs heures à température de la pièce .
La méthylhistamine, métabolite principal de l'histamine peut être dosée dans le sang et aussi dans les urines, son taux devant être alors rapporté à celui de la créatinine. La présence de méthylhistamine fait la preuve d'une histaminolibération et apporte un élément diagnostique supplémentaire, surtout si le prélèvement sanguin a été tardif.
La tryptase est actuellement considérée comme le meilleur marqueur de la dégranulation mastocytaire. Il n'existe pas de tryptase dans les basophiles. Son pic maximal est atteint dans le sang environ 1 h après le déclenchement du choc. Elle disparaît du sérum en 10 à 12 h. Dans les chocs graves elle peut persister à des concentrations élevées, plusieurs heures à plusieurs jours après la mort, ce qui doit encourager, en cas de litige, à prélever du sang au cours d'une autopsie pour effectuer les dosages de tryptase . On a donc toutes les chances de trouver des taux élevés quel que soit le moment du prélèvement après l'accident, contrairement à l'histamine. Cependant, ces médiateurs peuvent être indétectables en cas de réaction de faible intensité (sévérité de grade 1).
Un taux élevé de médiateurs renseigne sur la dégranulation cellulaire mais non sur le mécanisme à l'origine. Il est donc indispensable d'associer au dosage des médiateurs celui des anticorps spécifiques des produits suspectés.
On le pratique sur un échantillon sérique. On dose en routine, par la technique du RAST, les anticorps spécifiques des ammoniums quaternaires (SAQ-RIA, complétée par une inhibition du RAST), les anticorps du propofol, thiopental, gélatines, antibiotiques, latex, etc.
En pratique (2 tubes secs, 1 tube EDTA, 1 flacon à urines)
Dans tout secteur d'anesthésie devrait être en permanence présent un plateau comportant deux jeux de 3 tubes pour prélèvements sanguins + 1 flacon pour recueil des urines, avec les feuilles d'expédition aux divers laboratoires :
![]() | 1 tube à EDTA : le sang prélevé sera centrifugé immédiatement pour séparation du plasma sur lequel sera dosée l'histamine ; |
![]() | 2 tubes secs : le sang prélevé sera centrifugé immédiatement pour séparation du sérum qui sera remis dans 2 tubes pour le dosage de la tryptase dans l'un et des IgE spécifiques dans l'autre ; |
![]() | 1 flacon de 20 mL pour prélever les urines lors de la première miction après l'accident, afin de doser la méthylhistamine urinaire. |
Les tubes de sérum et plasma récupérés après centrifugation doivent être acheminés le plus rapidement possible vers le laboratoire qui assurera les dosages. Ils peuvent être malgré tout conservés à + 4 °C pendant 24 h au maximum si l'expédition ne peut se faire immédiatement. Sinon, il est préférable de les congeler et l'acheminement des tubes sera réalisé dans les jours ou semaines suivantes, dans de la carboglace. La décongélation ne devra être réalisée que par le laboratoire qui effectuera les dosages. La validité des résultats dépendra des conditions de stockage et de transport des tubes.
La réalisation de ce bilan immédiat est décisive pour la suite des événements. En effet les renseignements apportés, si ce bilan a été réalisé au complet, sont fondamentaux et permettront parfois de porter d'emblée le diagnostic. Celui-ci sera évidemment complété par le bilan secondaire. Malheureusement, bon nombre de patients ne bénéficient pas de ce bilan ultérieur fait par un allergologue, soit parce que l'anesthésiste n'a pas informé le patient, soit parce qu'il n'y a pas de consultation d'allergo-anesthésie proche du domicile du patient, soit parce que le patient ne se rend pas à cette consultation pourtant programmée, soit parce que le patient est décédé des suites du choc... Dans ces cas, sans prélèvements peranesthésiques, aucun diagnostic ne pourra être porté, ce qui sera particulièrement dommageable pour le patient lors des anesthésies futures, sans parler des conséquences médicolégales pour l'anesthésiste en cas de plainte de la famille.
C'est l'étape obligatoire dans la démarche diagnostique cherchant à mettre en évidence une anaphylaxie. Il comporte des tests cutanés et le dosage des anticorps spécifiques (cf. supra). Les tests cutanés consistent à réaliser d'abord des prick-tests, puis des intradermoréactions avec les produits incriminés. Parallèlement, on doit s'assurer de la réactivité correcte de la peau du patient en pratiquant les mêmes tests cutanés avec du sérum phénolé (témoin négatif) et de la codéine (témoin positif).
Ils sont pratiqués sur la face antérieure de l'avant-bras, sur laquelle est déposée une goutte du produit à tester. Au travers de cette goutte on réalise une discrète piqûre de l'épiderme avec un dispositif spécial ou avec la pointe d'une aiguille intradermique. La peau ne doit pas saigner. Les produits incriminés sont testés en utilisant la présentation commerciale pure des médicaments, sauf pour l'atracurium et le mivacurium qui doivent être dilués au 1/10e pour éviter une réaction liée à l'histaminolibération non spécifique. Si un curare est suspecté, il faut tester tous les autres curarisants. Pour le latex, on utilise plusieurs solutions d'allergènes (laboratoire des Stallergènes, extrait Allerbio).
La lecture s'effectue 15 min plus tard en mesurant la taille de l'oedème : le prick-test est positif lorsque le diamètre de celui-ci est au moins égal à la moitié du diamètre de celui obtenu avec la codéine.
Elles sont pratiquées avec les médicaments suspectés (pas avec le latex) en cas de résultats négatifs en pricks, et avec tous les curarisants pour rechercher une anaphylaxie croisée en cas de prick positif à un curarisant. Les IDR se réalisent dans le dos. L'injection est intradermique et les produits sont toujours dilués (en commençant au 1/10.000e). La lecture se fait 15 min plus tard, par comparaison avec le témoin positif. Le test est positif lorsque l'oedème a un diamètre au moins supérieur à la moitié du diamètre de celui produit par la codéïne.
Le seuil de positivité des tests cutanés, pour affirmer l'origine anaphylactique du choc, est différent d'un produit à l'autre, car il dépend du potentiel histaminolibérateur du produit. Il est effectivement plus élevé avec le mivacurium et l'atracurium qu'avec les autres produits (tableau II) .
Au terme de ce bilan, le diagnostic d'anaphylaxie IgE dépendante à une substance est porté si :
![]() | les manifestations cliniques sont évocatrices dans leur moment de survenue et leur symptomatologie ; |
![]() | il y a eu un taux élevé de tryptase et d'histamine ; |
![]() | les tests cutanés sont positifs avec, si possible, confirmation par la présence d'anticorps spécifiques circulants. |
Si les tests cutanés et le dosage des IgE sont négatifs, alors que les médiateurs ont été élevés et la clinique évocatrice, le diagnostic d'histaminolibération pharmacologique est retenu. Cependant, confirmation de l'absence d'anticorps devra être apportée en recommençant le bilan allergologique plusieurs semaines plus tard.
Les conclusions du bilan diagnostique doivent être précisément rédigées, données au patient qui les conservera sur lui, et diffusées au médecin anesthésiste et au médecin traitant. Pour les enfants, les conclusions doivent figurer sur le carnet de santé. Il ne faut pas oublier d'informer le centre de pharmacovigilance du laboratoire pharmaceutique concerné et le centre de l'établissement de soins.