Nutrition de
l'agressé texte long |
L'ensemble des Consensus et Recommandations |
Conférence de Consensus
NUTRITION DE L'AGRESSÉ
TEXTE LONGSociété Francophone de Nutrition Entérale et Parentérale
Accréditée par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé
Jeudi 23 octobre 1997
Institut Gustave-Roussy
94800 Villejuif
Introduction LES QUESTIONS POSÉES :
1 La nutrition de l'agressé. Pourquoi ? Pour qui ?
2 Quels apports calorico-azotés ?
3 Existe-t-il une spécificité d'apport en fonction du contexte pathologique ?
4 Quelle place à l'insuline et aux facteurs de croissance dans la nutrition de l'agressé ?
5 Quelles méthodes d'apport et de surveillance ?
COMITE D'ORGANISATION
Président
: Ph. Erny, Anesthésie-réanimation, Bordeaux
G. Bleichner, Réanimation, Argenteuil
P. Bouiétreau, Anesthésie-réanimation, Lyon
P.-L. Fagniez, Chirurgie générale, Créteil
0. Goulet, Diabétologie, nutrition, gastoentérologie, Paris
J.-C. Manelli, Anesthésie-réanimation, Marseille
J.-L. Saubion, Pharmacie, Libourne
J.-F. Zazzo, Anesthésie-réanimation, Clamart
PRESIDENT DU JURY
Professeur G. Annat, Physiologie, Lyon
MEMBRES DU JURY
Monsieur Couzigou P,
gastoentérologie, Pessac
Monsieur Descoutures J.-M, Pharmaie, Argenteuil
Monsieur Freysz M, Anesthésie-réanimation, Dijon
Monsieur Guidet B, Réanimation médicale, Paris
Madame Laville M, Nutrition, Lyon
Monsieur Millat B, Chirurgie, Montpellier
Madame Munsch Y, Anesthésie-réanimation, Lyon
Madame Naveau S, Gastoentérologie, Clamart
Monsieur Steinmetz P, Pharmacie, Ferolles Attily
Monsieur Tenaillon A, Réanimation, Courcouronnes
EXPERTS
B. Beaufrère, Nutrition,
Clermont-Ferrand
M. Berger, Anesthésie, Lausanne
N. Bruder, Anesthésie-réanimation, Marseille
C. Chambrier, Anesthésie-réanimation, Lyon
R. Chioléro, Anesthésie, Lausanne
D. Darmaun, Nutrition, Nantes
B. Delafosse, Anesthésie-réanimation, Lyon
M. Hasselmann, Réanimation, Strasbourg
X. Leverve, Réanimation, Grenoble
J.-C. Melchior, Nutrition, Paris
G. Nitenberg, Réanimation, Villejuif
C. Pichard, Gastroentétrologie, Genève
J. Stephanazzi, Brûlés, Clamart
0. Tueux, Anesthésie-réanimation, Paris
Traiter de " nutrition du patient agressé " impose de définir chacun des termes.
I - La nutrition doit être considérée ici comme une thérapeutique de substitution d'une fonction vitale au même titre que la ventilation mécanique. Elle a donc un rôle de prévention ou de traitement des dysfonctions métaboliques sans objectif immédiat de retour à l'homéostasie.
II - L'agression correspond à une situation aiguë au cours de laquelle un facteur imprévu de nature physique, chimique, ou biologique, vient brusquement modifier l'homéostasie de l'organisme. La réponse à ces agressions, stéréotypée, sinon dans sa gravité, du moins dans sa spécificité, définit le cadre de cette Conférence de Consensus. Cette réaction, qui a pour objectif la défense de l'organisme et sa " réparation ", se caractérise par un profond bouleversement des priorités de l'organisme avec :
1- une réponse inflammatoire médiée en particulier par les macrophages, les leucocytes et les cellules endothéliales, associée à la libération locale ou systémique d'un grand nombre de médiateurs ;
2- des modifications
endocriniennes caractéristiques, associant augmentation de la sécrétion
d'insuline et insulinorésistance, augmentation de la sécrétion des hormones
dites de contre-régulation (glucagon, catécholamines, cortisol, et hormone de
croissance) et diminution des sécrétions thyroïdiennes (syndrome de basse
T3), et d'hormones sexuelles.
Ces perturbations induisent une réorientation du métabolisme
avec comme conséquence fondamentale sur le plan nutritionnel :
- une élévation de la dépense énergétique,
- un hypercatabolisme azoté associé à un anabolisme protéique réorienté en
grande partie vers les protéines de l'inflammation,
- une stimulation majeure de la néoglucogenèse.
Ces modifications caractéristiques des fonctions métaboliques
de l'organisme, qui opposent l'éventuelle dénutrition de l'agression à celle
du jeûne, sont toutefois variables d'un sujet à l'autre et d'une agression à
l'autre. En routine clinique, il n'est donc pas possible de définir l'agression
par un ou plusieurs dosages biologiques.
III - L'agression ne définit
pas le patient agressé au sens de la prise en charge nutritionnelle. Seuls
justifieront d'une telle prise en charge et feront donc l'objet de ce Consensus
les patients qui, par leur la gravité générale, du fait de l'agression ou de
son association à un état pathologique antérieur, seront dans l'incapacité
totale ou partielle d'assurer leurs besoins nutritionnels pendant une période
d'au moins une semaine. Cette définition ne saurait se résumer à leur
admission en unité de réanimation, dont on sait que le recrutement varie d'un
service à l'autre ou d'un pays à l'autre. Force est donc, en l'absence de critère
biologique spécifique, de définir ces patients par l'évidence d'une agression
clinique, d'une part, et la présence de critères de gravité, d'autre part.
En l'absence de score spécifique dédié au patient agressé,
en termes de suppléance nutritive, il est logique de recommander l'utilisation
des scores généraux (IGS II, APACHE II ou III) et des scores de défaillance
ou de dysfonction viscérale.
Il n'est pas dans les attributions du jury de définir des
niveaux de seuil de gravité. En revanche, il est fortement recommandé pour
juger de l'efficacité des divers apports nutritionnels (qualité, quantité ou
mode d'administration) d'utiliser ces indices de gravité et de dysfonction viscérale
pour le choix des malades à inclure dans les études cliniques sur la nutrition
de l'agressé.
QUESTION 1 La nutrition de l'agressé. Pourquoi ? Pour qui ?
1. Pourquoi?
Chez le sujet sain, l'absence ou l'insuffisance d'apport nutritionnel aboutit à un état de dénutrition (macronutriments) ou de carence spécifique (micronutriments). La dénutrition et les carences sont responsables de troubles fonctionnels pouvant aller jusqu'au décès.2. Pour qui ?
Les indications de
l'assistance nutritionnelle chez le patient agressé sont analysées en fonction :
- des caractéristiques du patient ;
- de la cause de l'agression ;
- de la sévérité de J'agression.
2.1. Le patient
L'âge élevé n'influence
la décision de support nutritionnel que dans la mesure où la dénutrition est
dans ce cas plus fréquente. Aucun état pathologique chronique préexistant à
l'agression, autre que la dénutrition, n'impose par lui-même une décision de
nutrition. Un état de dénutrition préexistant à l'agression justifie de
principe le recours à la nutrition artificielle.
Aucune mesure n'est à la fois suffisamment sensible et spécifique
pour affirmer le diagnostic dle dénutrition au cours de l'agression. L'anamnèse,
l'évolution récente du poids, l'estimation des ingesta ou de l'état
fonctionnel digestif, l'appréciation clinique des masses musculaires ou des réserves
adipeuses donnent une évaluation globale subjective de la dénutrition. Un
amaigrissement de plus de 10 % du poids corporel en 6 mois suggère une dénutrition.
Les autres méthodes d'évaluation sont impossibles, ou
difficilement interprétables car susceptibles d'être influencées autant par
l'agression elle-même que par la dénutrition.
2.2. La cause de l'agression
Les indications de la
nutrition selon le type d'agression reposent sur des études à faible niveau de
preuve. La nutrition entérale immédiate a été jugée bénéfique par
comparaison à une nutrition entérale retardée de 3 jours chez les brûlés et
de 5 jours chez les traumatisés. Cependant la réduction de la morbidité qui a
été observée peut être attribuée non seulement à l'apport calorique, mais
aussi à l'effet trophique de l'apport entérale précoce. La nutrition parentérale
totale est indiquée dans les suites d'une transplantation de moelle. Il
n'existe pas de données permettant de comparer l'évolution clinique de groupes
de malades recevant ou non une nutrition artificielle au cours des affections
suivantes : état infectieux, pancréatites graves, traitement par radiochimiothérapie.
Lorsque les besoins nutritionnels sont estimés en termes de
dépense énergétique, il existe une indépendance relative ou totale entre la
dépense énergétique, d'une part, et les scores évaluant la gravité d'une
pancréatite aiguë (score de Ranson), d'un traumatisme grave (Injury
Severity Score), ou d'une souffrance cérébrale aiguë (score de Glasgow),
d'autre part.
L'infection, qu'elle représente elle-même l'agression
initiale ou qu'elle complique cette dernière, aggrave les perturbations métaboliques.
Quelle que soit la cause de l'agression, l'assistance
nutritionnelle peut être indiquée dans le but de prévenir les conséquences délétères
du jeûne chez des patients qui ne seront pas capables de retrouver une
autonomie nutritionnelle une semaine après l'agression initiale.
2.3. La sévérité de l'agression
Aucune méthode de mesure
ne permet de quantifier la sévérité de l'agression, en dehors du nombre de défaillances
viscérales auxquelles elle est associée. Le nombre de défaillances viscérales
est susceptible d'influencer le choix du mode d'administration de la nutrition
(voie parentérale ou entérale). La nature des défaillances viscérales peut
modifier le choix des paramètres de nutrition, qu'ils soient qualitatifs (défaillances
hépatiques, rénales) ou. quantitatifs (défaillances cardiaques ou
pulmonaires).
L'assistance nutritionnelle n'est pas une priorité thérapeutique
à la phase initiale de l'agression. L'instabilité hémodynamique est considérée
comme incompatible avec le début d'une assistance nutritionnelle. L'apport de
macronutriments, à cette phase initiale, pourrait avoir des effets néfastes.
L'intensité du catabolisme est associée à la sévérité de l'agression mais
ne saurait servir à en évaluer la gravité. La grande majorité des résultats
publiés, y compris dans des études prospectives et randomisées, ne comporte
pas de définition objective ou d'évaluation quantitative de l'agression. Ce
manque limite l'interprétation des résultats. En l'absence d'évaluation
objective, il est impossible de distinguer parmi ces résultats ceux qui reflètent
la sévérité de l'agression de ceux qui traduisent l'efficacité de la
nutrition.
QUESTION 2 Quels apports calorico-azotés ?
1. Apports caloriques
Répondre à cette question
nécessite au préalable d'évaluer la dépense énergétique (DE). En effet, un
apport énergétique insuffisant majore la dénutrition, l'organisme devant
fournir les substrats nécessaires à la DE. Un apport énergétique supérieur
à la DE n'a pas d'effet bénéfique démontré, en particulier sur la balance
azotée qui reste négative aussi longtemps que dure l'état d'agression. En
revanche, cette hypernutrition peut être à l'origine d'effets délétères :
stéatose hépatique, production excessive de C02, dépôts lipidiques. L'apport
énergétique total doit donc être aussi proche que possible de la DE, d'autant
que le malade agressé ne peut moduler ses dépenses par l'exercice.
En pratique clinique courante, la DE est estimée par le
calcul du métabolisme de base (MB) pondéré d'un facteur de correction.
Les équations de Harris et Benedict permettent cette
estimation selon les formules suivantes :
- chez l'homme : MB = 66,5 + (13,8 x P) + (5 x T) - (6,8 x A)
- chez la femme: MB = 655,1 + (9,6 x P) + (1,9 x T) - (4,7 x A)
ou P = poids en kg (poids idéal), T = taille en cm, A = âge en années.
Ces valeurs doivent être corrigées pour tenir compte du
type d'agression en cause. Les facteurs de conversion par lesquels il est nécessaire
de multiplier ces valeurs estimées de MB sont les suivantes : période postopératoire
1,0 à 1,1, fractures multiples 1,1 à 1,3, infection sévère 1,3 à 1,6, brûlure
1,5 à 2,1. Cependant leur application aboutit souvent à une surestimation des
dépenses énergétiques vraies qui peut être révélée par les mesures de
calorimétrie indirecte. Cette technique, de réalisation relativement simple, nécessite
cependant des précautions méthodologiques et le recours à un appareillage coûteux.
Elle constitue, en clinique humaine, la méthode de référence pour évaluer la
DE. Elle a permis de mettre en évidence d'importantes variations
interindividuelles au cours d'une situation pathologique donnée et, chez le même
patient au cours de l'évolution de l'affection considérée. Enfin, son
utilisation plus répandue depuis plusieurs années a conduit à édicter des
recommandations particulières en fonction du type d'agression (question 3). De
nombreux facteurs sont susceptibles de modifier la DE du sujet agressé : le
frisson est un facteur d'augmentation transitoire mais parfois considérable ;
l'hyperthermie augmente la DE de 10 % par degré Celsius (l'inverse est valable
pour l'hypothermie) ; l'infection augmente en moyenne la DE de 10 %, par
comparaison à des patients non infectés ; enfin, du fait de l'effet thermogénique
des nutriments, la nutrition elle-même peut, en cas d'administration parentérale
rapide, augmenter nettement la DE. A l'inverse, la sédation, en limitant
l'agitation, le tonus musculaire et la douleur réduit fortement la DE. Chez un
patient recevant une sédation lourde (aréactif ou peu réactif aux
stimulations nociceptives), apyrétique, non septique, la DE est proche du MB.
La contribution des lipides dans la charge calorique totale
tend à être réduite depuis quelques années. En effet, pour une valeur donnée
de la charge calorique totale, l'augmentation relative des apports en lipides ne
peut qu'augmenter leur stockage sans variation de leur débit d'oxydation. En
pratique, les hydrates de carbone sont les substrats énergétiques privilégiés
des patients agressés. Une proportion de 70 % de calories glucidiques et de 30
% de calories lipidiques est recommandée en cas d'apports énergétiques
couvrant les dépenses.
Au total, il est recommandé un apport de 15 à 18 kcal/kg/j
(3,8-4,5 g/kg/j) sous forme de glucose et de 6 à 8 kcal/kg/j (0,7-0,9 g/kg/j)
sous forme de lipides. Pour des durées de nutrition artificielle supérieures
à 30 jours, et en particulier pour les malades sévèrement agressés, la
calorimétrie indirecte pourrait permettre d'optimiser la thérapeutique
nutritionnelle.
2. Apports azotés
L'apport azoté optimal chez le patient agressé est difficile à déterminer. Dans tous les cas, il doit être ajusté à l'importance des pertes, bien que l'obtention d'une balance azotée équilibrée reste toujours difficile, voire impossible à obtenir, dans la phase aiguë post-agressive. Au cours de ces 20 dernières années, les apports d'azote habituellement recommandés tendent à la diminution. Chez le patient agressé, préalablement non dénutri, dont les besoins énergétiques sont couverts, un apport azoté de 0,20 à 0,25 g/kg/j paraît suffisant. L'apport azoté peut être augmenté jusqu'à une limite de 0,35 g/kg/j lorsque le catabolisme azoté est très élevé ou si le patient est préalablement dénutri. Des niveaux supérieurs d'apports n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.
3. Apports spécifiques
3.1. Acides aminés
Les situations d'agression provoquent des
perturbations des flux d'acides aminés. La glutamine est un des acides aminés
massivement présents dans le pool des acides aminés libres mis à disposition
du métabolisme protéique. Au cours de ces situations, la protéolyse
musculaire s'accompagne d'une synthèse massive glutamine avec augmentation de
son efflux et effondrement de sa concentration intracellulaire.
La glutamine intervient dans l'équilibre acide base au
niveau de l'ammoniogenèse, dans l'immunité comme carburant des lymphocytes,
comme carburant des cellules de l'intestin grêle, et au niveau de l'homéostasie
azotée entre les tissus producteurs et consommateurs avec un flux inter-organe
de 85 g par jour. Or la glutamine est absente des solutés traditionnels
d'acides aminés en particulier du fait de son instabilité en solution. Ce
problème de stabilité peut actuellement être maîtrisé mais nécessite une
administration séparée. Par ailleurs, des précurseurs de la glutamine (dipeptides,
alpha-cétoglutarate d'ornithine) posent moins de problème de stabilité. Le
glutamate paraît être un médiocre précurseur de glutamine. Malgré la forte
utilisation énergétique de la glutamine par l'intestin grêle (environ 20 % de
la glutamine de l'organisme), la voie entérale parait pouvoir fournir de la.
glutamine à l'intestin mais aussi aux autres tissus. Les études effectuées
chez l'homme, bien qu'encourageantes, sont de qualité méthodologique
insuffisante pour la plupart. Une réduction des infections et de la durée
d'hospitalisation après greffe de moelle (avec de très fortes doses de
glutamine) et une réduction de la mortalité chez des malades de réanimation,
présentant des infections sévères et des pathologies respiratoires, ont été
observées sous supplémentation parentérale de glutamine. D'autres études
sont par contre négatives.
Chez le malade agressé, l'intérêt clinique de la supplémentation
en glutamine par voie parentérale nécessite confirmation. Son intérêt par
voie entérale est à évaluer. Les données métaboliques sur la glutamine sont
à analyser avec prudence : la chute de sa concentration plasmatique survient précocement
lors de l'agression. Après supplémentation, le pool se reconstitue rapidement,
ce qui améliore le bilan azoté. Pour autant, on ne peut conclure sans réserves
à une réelle synthèse protéique.
Un effet anabolique a été rapporté pour l'alpha-cétoglutarate
d'ornithine. Il est mal compris. Son intérêt clinique spécifique nécessite
validation.
L'arginine est un acide aminé non essentiel mais sa synthèse
du novo est faible. L'arginine est un stimulant puissant de la sécrétion
d'insuline et d'hormone de croissance. Elle a un effet anabolique et trophique
ainsi qu'un effet immunostimulant. Une diminution des infections ainsi que de la
durée de réanimation a été observée chez des malades polytraumatisés ou présentant
des cancers digestifs et recevant une nutrition entérale enrichie en arginine
mais aussi en nucléotides et en acides gras oméga-3. On ne dispose d'aucune étude
sur l'intérêt d'une supplémentation isolée en arginine.
Au total, les apports spécifiques en acides aminés ou précurseurs
représentent une importante voie de recherche clinique mais actuellement, du
fait d'un niveau de preuve insuffisant, leur utilisation dans la nutrition de
l'agressé ne peut être recommandée.
Enfin, les acides aminés ramifiés ou leurs céto-analogues
n'ont pas fait la preuve de leur intérêt spécifique. En nutrition entérale
chez le sujet agressé, l'intérêt des solutés semi-élémentaires, dont
l'absorption intestinale est supposée meilleure, n'a pas été démontré.
3.2. Lipides
Les émulsions lipidiques
d'huile de soja sont utilisées depuis plus de 30 ans en nutrition parentérale.
Ces émulsions lipidiques contiennent des triglycérides à chaînes longues
surtout en C 16 et C 18. Elles apportent 62 % d'acides gras essentiels dont 54 %
d'acide linoléique.
L'augmentation du shunt intrapulmonaire rapportée au cours
de leur administration relève plus d'une procédure inappropriée (perfusion
trop rapide ou quantité excessive de lipides) que d'un effet toxique propre.
Quant à leur effet immunosuppresseur, il n'a pas reçu de confirmations
cliniques suffisantes.
Des émulsions mixtes comportant à parts égales des triglycérides
à chaînes moyennes et des triglycérides à chaînes longues ont été proposées.
L'hydrolyse des triglycérides à chaînes moyennes est plus rapide. Elles n'ont
que peu d'effets sur le système immunitaire.
Le bénéfice clinique de ces solutions mixtes n'a pas été
démontré chez les patients agressés.
L'émulsion d'huile d'olive (80 %) et de soja (20 %), grâce
à sa teneur élevée en acide oléique (60 %), pourrait réduire les phénomènes
de peroxydation. De plus, sa richesse en a-tocophérol, forme active de la
vitamine E, lui confère des propriétés anti-oxydantes.
L'intérêt clinique spécifique de cette émulsion n'est pas
démontrée.
Dans l'état actuel de nos connaissances, un choix préférentiel d'une de ces
trois émulsions ne peut être recommandé. Les travaux sur les huiles de
poissons et les lipides structurés sont encore trop fragmentaires.
3.3. Micronutriments
Bien que leur apport énergétique
soit nul, les micronutriments (vitamines hydro- et liposolubles et éléments
traces) sont essentiels au métabolisme des macronutriments comme cofacteurs ou
coenzymes. Ils participent aux défenses anti-oxydantes, à la régulation de
l'expression des protéines en phase aiguë ainsi qu'aux défenses immunitaires.
L'agression réduit les réserves de micronutriments de l'organisme par
diminution d'absorption, augmentation des pertes digestives ou extra-digestives,
besoins accrus liés à l'hypermétabolisme et la redistribution des
micronutriments du compartiment sanguin central vers le foie ou le système réticulo-endothélial.
Les apports recommandés actuellement ont été déterminés
par analogie avec le sujet sain et par l'étude des cas de carence. Ils ne représentent
donc pas l'apport optimal chez le malade agressé et ce d'autant plus qu'une
certaine spécificité est à envisager en fonction du contexte ou des
pathologies, en particulier celles au cours desquelles le stress oxydatif est
accru. De plus, des déficits aigus en vitamines B, en sélénium et en zinc
sont à l'origine de complications graves touchant le système cardiovasculaire,
respiratoire, immunitaire et nerveux central. Les études actuellement
disponibles permettent de conclure à l'intérêt de la supplémentation. Ces
apports doivent être envisagés globalement sauf si des pertes spécifiques
sont prouvées aussi bien en nutrition entérale que parentérale. Un risque de
toxicité a été décrit pour certains micronutriments en cas de supplémentation
excessive ou de contexte clinique particulier. Il a été proposé de limiter
l'apport en fer pendant la phase septique car il favorise le développement
d'infections bactériennes. D'autre part, à concentration excessive, la
vitamine C a des propriétés pro-oxydantes en situation d'hypoxie. La toxicité
du sélénium et du zinc ne s'observe que pour des doses très supérieures à
celles utilisées en pratique.
En nutrition entérale, un sous-dosage peut être observé
par défaut d'absorption. Aussi, des méthodes de mesure pour déterminer les
besoins et leurs corrections sont souhaitables.
Les préparations entérales disponibles contiennent des
micronutriments adaptés pour le sujet sain mais en quantité insuffisante pour
le sujet agressé. Certaines préparations sont dépourvues de sélénium. Les mélanges
parentéraux industriels ne contiennent pas de micronutriments. Dans les préparations
polyvitaminiques, l'absence de vitamine K justifie une supplémentation spécifique.
Au total, les micronutriments, en particulier la thiamine,
doivent être prescrits précocement à des posologies au moins égales aux
apports conseillés (ANC)*, mais des études de supplémentation contrôlées
sont nécessaires pour disposer de recommandations plus précises.
* ANC : Apports nutritionnels conseillés pour la population .française
QUESTION 3 Existe-t-il une spécificité d'apport en fonction du contexte pathologique ?
Les principes généraux énoncés dans la question 2 doivent être adaptés en fonction du contexte, notamment en présence d'un état septique, d'une brûlure étendue, de défaillances d'organe ou d'un traumatisme sévère.1. États septiques
Les patients infectés ont
des besoins énergétiques augmentés, une résistance accrue à l'insuline et
un catabolisme tissulaire marqué. Il existe une redistribution des priorités
des synthèses protéiques , en particulier, celles qui sont assurées par le
foie sont accrues, alors que les synthèses protéiques musculaires sont effondrées,
ce qui conduit rapidement à une baisse de la masse maigre. La dénutrition
favorise le développement d'infections et aggrave le pronostic.
La nutrition ne pourra que tenter de freiner ce processus.
Seule la guérison de la maladie causale permettra d'interrompre cet
hypercatabolisme et de reprendre l'anabolisme protéique.
Les apports caloriques doivent couvrir la dépense énergétique
totale. Un état septique sévère associé à une défaillance circulatoire
justifie des apports prudents ne devant pas excéder les besoins minimum. Lors
d'infection prolongée, la mesure de la DE par calorimétrie indirecte, lorsque
celle-ci est disponible, permet d'ajuster, au mieux, les apports aux besoins.
Malgré des bilans azotés négatifs, il n'y a pas d'intérêt à augmenter les
apports d'azote au-dessus de 0,35 g/kg/j. Sur les données actuellement
disponibles, il n'est pas possible de recommander la prescription de glutamine
ou d'arginine.
La nutrition entérale précoce semble réduire l'apparition
d'infections. Il est conseillé de recourir, de façon préférentielle, à la
nutrition entérale précoce plutôt qu'à la nutrition parentérale.
2. Brûlures
Chez le brûlé, les
apports caloriques doivent être adaptés à la surface et surtout à la
profondeur de la brûlure. Les besoins énergétiques peuvent être déduits de
la formule de Curreri (25 kcal x poids + 40 kcal x surface brûlée [%]), de
celle de Long, ou mesurés par calorimétrie indirecte lorsqu'elle est
disponible. La sédation/analgésie profonde permet de réduire les besoins énergétiques.
Il est nécessaire d'apporter jusqu'à 7 g/kg/j de glucose. Les apports d'azote
doivent être augmentés en fonction du niveau de la dépense énergétique. Il
peut être nécessaire d'administrer jusqu'à 0,35 g d'azote/kg/j chez les
malades les plus sévèrement brûlés. Une étude documente un bénéfice de
l'adjonction d'alpha-cétoglutarate d'omithine. Elle doit être confirmée et il
n'est actuellement pas possible de recommander l'usage d'acides aminés spécifiques.
L'apport de vitamines (A, B, C, E) et d'oligoéléments est recommandé pour
favoriser la cicatrisation.
En pratique, la voie entérale précoce est systématiquement
préférée en limitant au maximum les interruptions liées aux pansements itératifs.
La qualité du support nutritionnel peut être évaluée sur la cicatrisation.
3. Défaillances d'organe
Chez des patients présentant
un syndrome de détresse respiratoire aiguë, il est conseillé d'éviter les
apports énergétiques excessifs qui augmentent la production de CO2, et surtout
la perfusion rapide de lipides qui diminue le rapport PaO2/FiO2. L'hypophosphorémie
pourrait contribuer à la dysfonction diaphragmatique et doit être corrigée.
Dans l'insuffisance rénale aiguë non traitée par épuration
extra-rénale, les apports d'azote ne doivent pas être diminués. Les apports
de glucose et d'azote doivent être augmentés pour compenser les pertes lors de
l'hémodialyse ou de l'hémofiltration. L'administration de vitamine C doit être
prudente (risque d'oxalose).
En cas d'insuffisance hépato-cellulaire, l'intolérance
glucidique est à mettre en balance avec les risques d'hypoglycémie. Les
apports lipidiques et protéiques ne doivent pas être limités sauf s'il existe
une encéphalopathie.
4. Traumatismes
Les dépenses énergétiques
sont augmentées (1,1 à 1,3 fois le MB), surtout s'il existe un état septique
associé (1,4 à 1,9 fois le MB). La sédation, l'analgésie et le contrôle de
la fièvre diminuent la dépense énergétique.
Il a été récemment suggéré par une étude randomisée
que, à la phase initiale du traumatisme grave, un apport lipidique excessif
pourrait avoir un effet délétère (augmentation des complications
infectieuses, allongement de la durée de ventilation mécanique et de séjour).
Le malade traumatisé crânien présente quelques spécificités
: les apports de glucose dans la phase initiale doivent s'accompagner d'une
surveillance stricte de la glycémie (£ 10 mmol/1) afin d'éviter le risque
d'aggravation de l'ischémie cérébrale. La fuite azotée est majeure pouvant
atteindre 20 g/j. Il n'y a pas d'étude clinique démontrant un effet bénéfique
de la glutamine ou de l'arginine.
L'alimentation entérale est préférable à la nutrition
parentérale mais les deux voies sont souvent nécessaires car il existe un
trouble de la vidange gastrique limitant le volume de nutrition entérale.
QUESTION 4 Quelle place à l'insuline et aux facteurs de croissance dans la nutrition de l'agressé ?
Les états d'agression se
caractérisent par un catabolisme protéique exacerbé. Les apports
nutritionnels les mieux adaptés se révèlent le plus souvent incapables de
corriger totalement cette protéolyse excessive. Dans ce contexte, le recours à
des substances à visée anti-catabolique, voire anabolisante protéique, apparaît
donc comme une voie thérapeutique logique, et séduisante. Les substances
suivantes ont été évaluées : insuline, hormone de croissance (GH), Insuline-like
growth factor (IGF1), testostérone et dérivés.
L'utilisation de l'insuline repose sur son aptitude, démontrée
chez l'homme sain, à réduire la protéolyse et à stimuler le transport
intracellulaire des acides aminés et la protéosynthèse. Chez le malade en état
d'agression (brûlés, cancéreux), l'administration de doses élevées
d'insuline jusqu'à 30 Ul/h est capable de diminuer le catabolisme protéique.
Cependant, la nécessité de perfuser simultanément une quantité importante de
glucose afin de maintenir l'euglycémie rend excessive la charge calorique
apportée au malade. Enfin, il n'y a pas de démonstration que l'administration
d'insuline puisse exercer un effet bénéfique sur l'évolution clinique. Au
total, l'insulinothérapie en tant que traitement anabolisant ne peut être
recommandée au cours des états d'agression. L'indication de l'insuline est
limitée au contrôle de la glycémie lorsque celle-ci dépasse le seuil de 10
à 12 mmol/1.
La GH est un puissant anabolisant protéique et un inhibiteur
de la protéolyse. Elle stimule également la lipolyse tout en réduisant la
glycolyse, permettant le maintien des stocks de glycogène. Ses actions sont en
partie directes, et en partie indirectes, via l'IGF1 dont elle stimule la synthèse
au niveau du foie. Chez le malade en état d'agression, notamment en cas de brûlures
étendues, de traumatisme crânien ou de sepsis sévère, certaines études
montrent que l'administration de GH à la dose de 0,10 à 0,20 mg/kg/j positive
le bilan azoté. Cependant, honnis une étude réalisée chez l'enfant brûlé,
il n'a pas été rapporté de bénéfice clinique. Enfin, le coût du traitement
par la GH est extrêmement élevé. Il est donc nécessaire d'entreprendre des
études coût - efficacité de son utilisation chez le malade agressé avant de
la recommander. Cependant ce produit n'est pas disponible actuellement en France
dans cette indication.
L'IGF1 étant le médiateur de la plus grande partie des
actions de la GH, son utilisation pourrait être intéressante, notamment en cas
de défaillance hépatique limitant sa production. Les données publiées sur
les effets de l'IGF1 chez le malade agressé sont rares et contradictoires. La
positivation du bilan azoté est inconstante, mais certaines données récentes
suggèrent un effet stimulant sur l'immunité. Au total, l'utilisation d'IGF1
n'est pas recommandée actuellement. Elle pourrait se révéler une voie
d'avenir, malgré des effets secondaires non négligeables, notamment des
hypoglycémies sévères.
La testostérone ou ses dérivés augmentent la synthèse
protéique chez les sujets sains, lorsque leur administration est associée à
l'activité physique. Au cours des états d'agression sévère, il a été montré
que les malades survivants avaient des concentrations plasmatiques de testostérone
plus élevées que celles des malades décédés. Ces deux arguments ont donc
conduit à évaluer l'administration de dérivés de la testostérone (stanozol,
nandrolone) chez les malades polytraumatisés. Les effets sur la balance azotée
se sont révélés très modestes. Il n'a pas été observé d'effet bénéfique
sur les fonctions musculaires. L'utilisation de ces substances au cours des états
d'agression ne peut donc être recommandée.
QUESTION 5 Quelles méthodes d'apport et de surveillance ?
1. La nutrition entérale
1.1. Accès au tube digestif
La voie naso-gastrique est la méthode la plus adaptée chez le patient agressé du fait de sa facilité de pose. On utilise des sondes en silicone ou en polyuréthanne et opaques aux rayons X. Le positionnement de la sonde d'alimentation en site post-pylorique a l'avantage de permettre une nutrition entérale pendant la phase de gastroparésie. Son positionnement peut être facilité par l'administration de prokinétiques. Cependant, les multiples techniques de positionnement, endoscopique, sous échographie, sous scopie, ou avec l'aide d'un aimant sont de réalisation longue et nécessitent parfois le déplacement du patient, ce qui n'est pas toujours réalisable. L'incidence moindre de pneumopathie nosocomiale lors de l'administration de la nutrition entérale en site post-pylorique n'est pas démontrée. D'autre part, le déplacement des sondes est fréquent en réanimation. Il n'existe donc pas actuellement d'arguments formels pour préférer le site post-pylorique au site gastrique. En cas de laparotomie, il faut discuter la réalisation d'une jéjunostomie d'alimentation par cathéter de Delany, en fonction de la pathologie du patient, de sa gravité et de la durée prévisible de la nutrition entérale.
1.2. Modalités d'administration
La nutrition entérale
administrée de manière continue sur le nycthémère au moyen d'une pompe péristaltique
est la méthode la mieux adaptée.
Par le contrôle des débits, elle permet d'améliorer la tolérance
digestive. De plus, le délai entre l'initiation de la nutrition entérale et
l'obtention de la ration calorique est plus court en nutrition entérale
continue qu'en nutrition intermittente. Les avantages métaboliques d'une
technique par rapport à l'autre n'ont pas fait l'objet d'étude chez le patient
agressé.
Il a été envisagé que la nutrition entérale discontinue,
en diminuant la colonisation bactérienne gastrique grâce au retour du pH
gastrique à des valeurs physiologiques pendant les périodes de pause, réduirait
la fréquence des pneumopathies nosocomiales. Ce point n'a pas été confirmé.
1.3. Tolérance et complications
1.3.1 Surveillance de la quantité administrée par voie entérale
L'intolérance gastrique est la principale raison de l'inadéquation
entre quantité calorique prescrite et ce que reçoit réellement le patient
agressé. Il est conseillé d'initier la nutrition entérale par des débits
d'instillation progressif d'une diète iso-osmolaire contenant 1 Kcal/mI.
Le débit initial, de 25 ml/h pendant les 24 premières
heures, est augmenté de 25 ml/h toutes les 12 à 24 heures en fonction de la
tolérance digestive jusqu'à ce que le volume désiré soit atteint.
La tolérance est contrôlée par la mesure toutes les 6
heures du volume de stase gastrique.
Lorsque le volume de stase gastrique est supérieur ou égal
à 200 ml, la nutrition entérale doit être interrompue transitoirement et sera
reprise avec des débits réduits en rétablissant des paliers dans la
progression.
L'existence d'une diarrhée est également à prendre en
considération pour apprécier la quantité des apports réellement absorbés
par le patient.
1.3.2 La surveillance des complications
L'incidence et la gravité des
complications de la nutrition entérale sont accrues chez les patients en état
d'agression. Leur survenue peut être réduite par l'existence d'une
prescription écrite et le respect d'un mode opératoire (protocole).
1.3.2.1. Les complications mécaniques
Les complications mécaniques les plus fréquentes des sondes
de nutrition entérale naso-gastriques sont les déplacements secondaires et les
obstructions. La prévention de ces complications passe par la mise en place de
sondes adaptées par un personnel entrainé et la vérification régulière du
bon positionnement de l'extrémité distale du tube, enfin par un cliché
radiologique au minimum lors de la pose. Les obstructions doivent être prévenues
par un rinçage régulier de la sonde.
La fréquence des complications de la jéjunostomie est estimée
de 0,8 à 8 %. Il s'agit principalement de déplacement secondaire de la sonde,
de son obstruction, plus rarement de perforation intestinale ou d'occlusion.
1.3.2.2. Les complications gastro-intestinales
La tolérance gastro-intestinale des patients en état
d'agression est médiocre.
En effet, la motricité gastro-intestinale est altérée chez
le patient agressé, ce qui a conduit à proposer l'utilisation de substances
prokinétiques (cisapride, érythomycine). Ces traitements ont fait la preuve de
leur efficacité en termes d'accélération de la vidange gastrique, mais il n'a
pas été démontré qu'ils améliorent la tolérance digestive et réduisent
les complications de manière significative.
La diarrhée est fréquente chez le patient agressé et son
origine n'est pas univoque. Elle résulte le plus souvent d'une administration
trop rapide.
Une contamination septique du mélange nutritif est prévenue
par le respect des règles d'hygiène, par l'utilisation de mélanges nutritifs
industriels conditionnés stérilement, par l'utilisation de pompes péristaltiques
en système clos. Un large éventail des volumes de conditionnement permet une
limitation du nombre des manipulations et une meilleure adéquation à la
prescription.
Il n'a pas été démontré que l'utilisation de mélanges
semi-élémentaires et de diètes entérales enrichies en fibre peut améliorer
la tolérance digestive et réduire l'incidence de la diarrhée.
2. La nutrition parentérale
2.1 Choix du conditionnement
Les " poches "
contiennent un mélange ternaire, c'est-à-dire un mélange des 3
macronutriments pré-mélangés, ou devant être mélangés de façon extemporanée.
Ces préparations ont des avantages démontrés : réduction de la charge de
travail infirmier, moindre dépense de matériel et nombre moins important de
manipulations. Chez le malade agressé, hospitalisé en service de réanimation,
la preuve de la réduction du risque de contamination bactérienne n'est pas établie.
Les formules des mélanges ternaires préparés de façon industrielle sont
diverses, mais ne correspondent pas toujours aux besoins des patients de réanimation.
En cas d'utilisation de flacons séparés, les 3
macronutriments doivent être impérativement perfusés simultanément. La
comparaison, en termes de rapport coût/bénéfice, entre mélanges tetnaires préparés
industriellement et flacons séparés, devra être réalisée.
2.2. Mode d'administration
L'administration continue de la nutrition parentérale consiste à perfuser celle-ci 24 heures sur 24. Lors d'une administration cyclique, la nutrition parentérale est perfusée pendant 8 à 12 heures, laissant une période de jeûne. L'administration cyclique de la nutrition parentérale présente l'avantage de respecter l'alternance physiologique jeûne-alimentation et d'éviter l'état d'hyperinsulinisme permanent engendré par les perfusions continues favorisant la lipogenèse et la stéatose hépatique. Néanmoins un certain nombre d'effets secondaires liés à l'augmentation du débit de perfusion a été rapporté lors de la nutrition parentérale cyclique. Il s'agit en particulier de l'expansion volémique brutale, de troubles hydro-électrolytes avec hyperosmolarité, d'hypoglycémie à l'arrêt des perfusions, de shunt intrapulmonaire par débit de lipides trop important. Compte tenu de ses inconvénients, la nutrition parentérale cyclique n'est pas recommandée.
2.3. Tolérance et complications
La tolérance et les
complications sont liées aux apports nutritionnels eux-mêmes et aux techniques
d'administration. Le dépistage des complications liées aux apports
nutritionnels nécessite une surveillance biologique quotidienne incluant la détermination
d'un ionogramme sanguin et urinaire, et la mesure de la glycémie, de la
phosphorémie et de la calcémie. Les triglycérides plasmatiques seront dosés
une fois par semaine. Les conséquences hépato-biliaires de la nutrition parentérale
seront surveillées une fois par semaine au moyen des tests de cholestase et de
cytolyse. Néanmoins, les complications hépato-biliaires sont surtout le fait
de la nutrition parentérale prolongée. En cas de nutrition parentérale
exclusive, un " sludge " vésiculaire précoce peut entraîner une
cholécystite.
Les complications des techniques d'administration sont
essentiellement les complications infectieuses et thrombo-emboliques liées aux
cathéters. Elles ne sont pas spécifiques des cathéters centraux utilisés
lors de la nutrition parentérale de l'agressé.
3. Critères de choix entre alimentation parentérale et alimentation entérale
Lorsqu'elle est utilisable,
la voie entérale est la voie préférentielle de la nutrition du patient agressé.
Les travaux expérimentaux réalisés chez l'animal suggèrent
que l'alimentation entérale renforce les défenses immunitaires digestives, préserve
l'intégrité de la muqueuse intestinale, diminue les phénomènes de
translocation bactérienne et réduit l'intensité de la réponse métabolique
accompagnant la phase initiale de l'agression.
En ce qui concerne l'efficacité nutritionnelle, il n'a pas
été mis en évidence de différence significative entre la nutrition entérale
et la nutrition parentérale chez le malade en état d'agression. Néanmoins les
avantages de la nutrition entérale sont une diminution du risque infectieux
constaté chez le polytraumatisé et un moindre coût.
La nutrition entérale précoce est souvent limitée par
l'intolérance digestive. Il est alors nécessaire de la compléter par un
apport parentéral (périphérique ou central) pour atteindre le niveau
calorique souhaité. La nutrition parentérale centrale exclusive est réservée
aux contre-indications absolues de la nutrition entérale.
4. Eléments pragmatiques de surveillance de l'efficacité de la nutrition
Malgré l'absence de tests
permettant d'apprécier de façon objective les effets de la nutrition chez le
patient agressé, on peut de façon pragmatique proposer la surveillance du
poids qui, en l'absence d'inflation hydrique majeure, reste un bon reflet de l'état
nutritionnel. L'examen clinique recherchera une atrophie musculaire. En
l'absence d'insuffisance rénale, l'évaluation de la masse musculaire par la créatininurie
ou la mesure de l'index de créatinine (créatininurie/taille) est applicable en
pratique clinique. La 3- méthyl-histidine urinaire est un index du catabolisme
des protéines myofibrillaires. Son élimination doit être rapportée à la créatininurie
sur des urines de 24 heures. Le rapport 3- méthyl-histidine urinaire / créatininurie
est de l'ordre de 23 ± 7. Ce rapport, non influencé par l'âge et le sexe, est
diminué dans les dénutritions chroniques et augmenté dans l'hypercatabolisme
protéique.
La réalisation du bilan d'azote demeure probablement un des
meilleurs examens biologiques de surveillance de la nutrition artificielle. Le
dosage de l'azote urinaire total est au mieux mesuré par chimioluminescence. A
défaut la méthode de Kjeldahl peut être utilisée mais elle est peu sensible.
En pratique, l'azote urinaire est le plus souvent calculé à partir de la
valeur de l'urée urinaire.
Enfin, l'impédance bioélectrique pourrait être un élément
intéressant pour la surveillance de la composition corporelle lors de la phase
post-agressive au cours de laquelle il faudra poursuivre la renutrition. De même,
à ce stade d'évolution, les mesures des protéines de durée de vie variable
apporteront des arguments en faveur de l'efficacité nutritionnelle.